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 Sur la place chauffée au soleil

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Hybride
Nurmahal
Nurmahal
Hybride

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MessageSujet: Sur la place chauffée au soleil   Sur la place chauffée au soleil 660830Image55Sam 22 Mar - 0:39



La place inondée de soleil est emplie de bruits, de cris et de mélodies chatoyantes. La rumeur de la foule pourtant nombreuse ne suffit pas à étouffer le chant envoûtant des flûtes et des tambourins. Des comédiens se donnent bruyamment la réplique sur des scènes de fortune, des trouvères récitent ça et là des vers romantiques ou épiques ; les troupes se mêlent et s'entre-mêlent, rivalisant de fougue et d'inventivité pour attirer l’œil et les rires des résidents de Delma. Ci et là des rondes se forment et entraînent les passants dans des farandoles endiablées qui en laissent vite plus d'un sur le carreau. Au milieu des badauds, une silhouette imposante, vêtue d'une cape miteuse, marche posément, sans but apparent, prenant garde de ne heurter personne de son grand bâton enveloppé dans un tissu sombre. Ses pupilles mordorées semblent hantées par un spectacle qu'elles sont les seules à entrevoir.

Nurmahal était arrivé sur la ville la veille. Après qu'il ait passé quelques semaines à seconder les bandes armées qui parcouraient l'arrière-pays, on lui avait demandé de se rendre à Delma avec quelques autres pour relever une cellule de Vautours qui avaient subi un revers récemment. Le voyage, qu'ils avaient entrepris à six, s'était bien déroulé. Les compagnons avaient empruntés des sentiers de bergers qui longeaient les routes, évitant ainsi la majorité des patrouilles. Toutefois, au bout de cinq jour de voyage les Pies se séparèrent pour le dernier bout de chemin. Franchir les murailles de la ville groupés était trop risqué. Niîra, un hybride simiesque confia à Nur son projet d'escalader tout simplement les murs à mains nues. Pour sa part, l'hybride passa de nuit par une bouche d'égout désaffectée. La méthode était peu glorieuse comparée à celle de Niîra, mais avait le mérite d'être à peu près sûre.

C'est ainsi que Nur se retrouva dans la grande cité connue pour abriter tous les savoirs assemblés par les hommes au fil des siècles. La cité de la joie et des poètes disait-on aussi. L'hybride resta tapis au creux d'une ruine habitée par des mendiants jusqu'à ce que l'aube survienne.

Alors, traînant sa lance, l'hybride déambula au hasard dans les rues qui s'éveillaient à la lumière joueuse du petit matin. Les volets s'ouvraient sur son passage, des femmes hélaient leurs voisines, sortaient travailler parfois accompagnées de leurs mouflets. Un chant guilleret retentit fugitivement, provenant d'une cour intérieur, égayant les chants des oiseaux qui survolaient gracieusement les rues baignées de l'aura matinale.

Curieusement, la présence de l'hybride ne semblait nullement déranger les habitants qui se comportaient comme s'il était tout à fait naturel qu'un esclave se trouvât là à cette heure. Nur erra ainsi toute la matinée, se repaissant silencieusement du spectacle qu'offrait la ville. Oh, elle avait ses mendiants, et les patrouilles qui parcouraient les venelles n'avaient l'air guère plus commode que ceux d'Eldoria. Malgré tout, il se dégageait de ses habitants, non pas une insouciance ni même une légèreté, mais un certain entrain, un esprit volontaire, une aura de joie latente.

Lorsque midi sonna, Nur avait découvert la trop célèbre place des ménestrels. Elle était déjà pleine de monde. Le tigre s'avança au cœur de la foule puis s'arrêta brusquement et resta planté là, les yeux ouverts sur un autre temps. Les bruits, les odeurs, les corps, les échos assaillaient ses sens, mais il leur était aussi attentif qu'une statue pourrait l'être. Un chant venait de finir, et les dernières notes avaient incompréhensiblement remué l'hybride qui a présent espérait sans se l'avouer que la chanteuse reprenne son ouvrage. Ce ne fut pas le cas. Alors, le colosse se posa contre un muret et resta là, écoutant et observant tout le jour le va et vient des poètes déclamant leurs sonnets et autres dithyrambes. Des musiques et des chants tour à tour joyeux, paillards et solennels se succédèrent tout le temps qu'il demeura là, au milieu de la place bruissante. Puis, le soir tombant, la place s'enflamma à l'astre déclinant, étalant les ombres. Les badauds se faisaient plus rares. Un chien efflanqué reniflait des détritus éparpillés par le vent vespéral. Ce fut ce moment que la voix choisit pour refaire surface. Elle se déroula dans l'air comme une longue trainée de clarté, surprenant l'hybride qui se redressa, mais ne chercha pas à savoir d'où elle venait. Au lieu de ça, il se contenta de clore ses paupières et de s'appuyer sur sa lance, comme le ferait un aveugle. La chanteuse usait d'une langue inconnue de l'hybride, et avait un accent singulier. Son chant mélancolique et languissant emporta Nur loin, dans son passé, son enfance trouée, tronquée. Dans le sous-bois ensoleillé, des bras chauds l'entouraient d'une étreinte affectueuse, une voix douce et rauque à la fois lui murmurait une chansonnette perdue. Mais à qui cette voix appartenait-elle ? Nur ne parvenait à distinguer qu'une ombre fuyante. Puis les chants se fondirent l'un dans l'autre, comme le passé dans le présent, et Nur ne se rendit compte qu'après des lourdes larmes qui avaient strié sa fourrure poussiéreuse.

Une perturbation à l'orée de sa conscience tire le tigre de sa torpeur : une patrouille approche. Les gardes ne sont pas tranquilles. Leur aura est inquiète. Peut-être on t-ils eu vent de ce que cette nuit, la Pie s'était infiltrée dans leur ville. Peut-être on t-ils fini par trouver suspect cet hybride massif et immobile qui, finalement, ne semblait pas appartenir à une des troupes de la ville. La sensation de danger est aigüe, et le fauve qui est trop perturbé pour envisager de se cacher ou de fuir, grogne et se prépare au combat.

-Oh, gros tas ! Fini de fainéanter maintenant ! T'as du matos à ranger alors ramène-toi avant que j'décide de t'revendre à une grabataire en manque d'aventure !

Nur se tourne vers l'insolent d'abord sans comprendre, prêt à le déchiqueter avec les gardes. Puis il voit le sourire de connivence que le troubadour impertinent lui adresse. Il s'agit d'un membre d'une troupe hétéroclite qui a passé la journée à égayer les foules non loin de l'hybride. Le tigre reste d'abord interdit. Il voit que les gardes, à l'autre bout de la place, hésitent. Alors il s'efforce de prendre une démarche traînante et fait mine d'obéir à l'injonction humiliante, ce qui déclenche quelques rires dans les rangs de la maréchaussée.

-Viens par là, chuchote le musicien, là-derrière. Tu seras à l'abri de la garde.
-Merci.

Il n'était pas surpris de ce coup de main inespéré et ne craignait pas de traîtrise. Les amuseurs itinérants se sentaient naturellement solidaires des hybrides libérés de leurs chaînes. La troupe semblait elle-même compter des hybrides tout à fait libres de leurs mouvements. Peut-être passerait-il quelques instants avec eux avant de partir à la recherche de ses compagnons.

Nur va donc s'asseoir à l'écart de la troupe, qui est en train de se préparer à passer la nuit. Il croise le regard de plusieurs d'entre eux qui le saluent amicalement, mais sans s'attarder, épuisés par leur journée de travail. Il ne leur rends que vaguement leur salut, considérant qu'un mutisme poli serait la meilleure manière de traiter avec eux. Il était encore secoué par ce qu'il venait de vivre et ne savait plus tellement où il en était. Tellement de choses avaient percé dans cet accès à ce souvenir d'enfance estompé avec le temps. Pendant un instant, la haine viscérale et rassurante qui l'animait tout entier depuis des années s'était évanouie. Il n'avait plus ressenti qu'un désir diffus de cesser la lutte sanglante, de partir loin, là où les troncs vigoureux ne connaissaient pas la peur de la cognée brutale et abjecte, là où la terre touchait les cieux, où les grands esprits du temps jadis conversaient avec leurs frères les astres. À travers ce chant, une grande faiblesse l'avait envahi. La faiblesse de croire qu'il pouvait échapper au destin de son peuple, s'en détacher, s'en séparer comme on se sépare de ceux qui nous aiment, pour mieux les oublier et plus tard, les aimer à nouveau comme on aime les gisants.

Folie.

C'est à cet instant que Nur croisa son regard. Elle était assise en tailleur à quelque pas, il ne l'avait pas remarquée lorsqu'il avait pris place. Une boule de cristal était posée non loin d'elle sur un tissu parcouru de fines arabesques. Elle le dévisageait. Yeux violets. Cheveux étrangement bleutés. Il l'avait aperçue à plusieurs reprises durant la journée, riant. Un de ses camarades avait longuement vanté aux passants ses dons de voyante. L'hybride avait vu certains de ceux qui l'avaient sollicitée.  Plusieurs d'entre eux avaient dans le regard quelque chose...d'halluciné. Peut-être usait-elle d'une drogue pour circonvenir les badauds les plus crédules et les délester de leur bourse.

Peut-être était-elle réellement dotée des pouvoirs que lui prêtait son compagnon. Il y avait chez elle quelque chose d'inhabituel. Son aura...son aura différait des autres. Par quoi exactement, Nur n'aurait su le dire. Mais un parfum d'étrangeté flottait autour de cette jeune femme. Et ce regard...Nur, soudainement, sent un désir impérieux s'emparer de lui : il doit parler à cette femme.

-Vos amis disaient que les dieux parlent par votre bouche, et que leurs desseins n'ont pas de mystères pour vous. Ils disaient que votre regard perçait les hautes nues. Que l'avenir était un royaume où vous aimiez à vous promener.

Les mots coulent sans que Nur puisse les arrêter. Il commence à se reprendre mais cet accès de faiblesse l'a ébranlé plus qu'il ne veut bien se l'avouer.  L'armure psychique édifiée par lui-même et son père s'est craquelée. Quelque chose le pousse à chercher un appui chez cette étrangère, cette humaine inconnue qu'il ne devrait considérer qu'avec mépris et défiance.

-Mais j'ai du mal à croire que l'on puisse prédire l'avenir d'un être sans le connaître jusqu'aux tréfonds. Aussi je ne vous demanderai pas quel sera mon avenir. Je laisse cela aux marchands inquiets pour l'avenir de leur fortune. Ma question, je ne sais pas exactement si vous pourrez y répondre. Quoiqu'il en soit la voici : Pouvez-vous me dire qui je suis ?

À peine les mots ont-ils franchi les lèvres de l'hybride qu'il les trouve ridicules et en a honte. Pourtant il ne corrige rien, ne se dérobe pas. Ce n'est pas précisément lui qui a parlé ici, et maintenant que la question était énoncée, autant voir si une réponse pouvait se faire.

Dragnis
Arsinoë Maranis
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MessageSujet: Re: Sur la place chauffée au soleil   Sur la place chauffée au soleil 660830Image55Sam 22 Mar - 19:44

Ce n'est pas exactement la première fois que nous venons à Delma, mais c'est loin d'être une habitude pour autant. Les foules nombreuses des villes continuent de me mettre mal à l'aise, moi qui n'ai toujours vécu qu'en groupe restreint, d'abord à la Citadelle, puis parmi mes nouveaux amis de la troupe. Pourtant, celle-ci a quelque chose de particulier. Ici les gens semblent constamment de meilleure humeur que dans les quelques autres villes que j'ai pu visiter, moins méfiants envers leur prochain. Il y règne une certaine convivialité qui me rappelle un peu la Citadelle. En plus bruyante et animée, ce qui n'est pas pour me déplaire. Même si je ne suis pas des plus à l'aise au milieu de tant de gens, l'atmosphère de fête permanente qui habite cette ville ne manque jamais de m'enchanter. Et après tout, si je prétends découvrir le monde autant que possible avant de rentrer, il faut bien que je passe du temps au milieu de ces villes qui paraissent si importantes pour ceux d'En-Bas.

À circonstances inhabituelles, méthodes inhabituelles. Pour une fois, je ne donne pas mes consultations dans ma petite caravane mais directement à l'extérieur, installée à même le sol, l'intimité de la roulotte étant réservée aux consultations les plus spéciales et particulières. C'est à la fois bien plus pratique pour voir passer et alpaguer les potentiels clients, mais aussi très agréable. Ça me donne l'occasion de profiter aussi bien du soleil et de la douceur de la journée que des multiples spectacles qui nous entourent sans fin. Casil vient même me faire de la réclame à l'occasion, notamment quand la foule s'amasse trop pour qu'il puisse faire sa représentation sans risque, d'une façon si dithyrambique et exagérée que j'ai souvent du mal à garder mon sérieux. Ça marche, pourtant, les clients s'enchaînent les uns après les autres presque sans interruption, si bien que c'est moi qui suis obligée de fermer boutique de temps en temps pour pouvoir me reposer.

Azor était d'abord très intimidé par la foule bigarrée et bruyante qui peuple ces rues, mais il semble s'y être bien vite habitué. Il passe sa journée à virevolter à droite et à gauche, cherchant à se faire de nouveaux amis parmi les nombreux autres Levis Draconis qui parcourent perpétuellement les cieux de Delma, sans avoir l'air de s'inquiéter du fait que, si lui s'amuse comme un petit fou, eux ont sans doute un travail à accomplir. Je le laisse se promener sans m'en faire pour lui, je sais que je le sentirais si jamais il lui arrivait quelque chose. Et que les autres garderont un œil sur lui s'il est dans leur champs de vision. Comme je m'en doutais, ils l'ont tous adoré dès le premier jour où je l'ai ramené, et il a été immédiatement adopté par toute la troupe. Ils lui ont même offert un collier après que je leur aie raconté les circonstances dans lesquelles je l'avais retrouvé, m'expliquant que de cette façon il ne serait plus pris pour un animal sauvage et risquerait moins de se faire prendre en chasse intempestivement. J'avais un peu peur qu'il n'aime pas trop l'idée, que le collier le gêne, mais au contraire il semble beaucoup l'apprécier et parade avec comme un paon.

La journée a filé incroyablement vite, mais c'est tout de même un soulagement de la voir se terminer. Le soleil descend, les ombres s'étirent, les rues se vident peu à peu. Les saltimbanques se dispersent, chacun retourne auprès des siens. Azor est revenu de ses vagabondages et a filé directement se reposer dans ma roulotte, les membres de la troupe revienne un par un ou en petit groupe. Sur les scènes, quelques ménestrels s'attardent, saluant l'arrivée de la nuit par un dernier conte, une dernière légende qui sera mieux savourée dans le calme du crépuscule que dans l'agitation de la journée. L'un d'entre eux, non loin de nous, narre des histoires de Dragnis, toutes plus invraisemblables les unes que les autres. À l'en croire, nous serions presque des dieux. Aucun de nous ne dit rien, mais nombre sourires entendus s'échangent. Je m'étonne toujours d'entendre ce que ceux d'En-Bas sont capables d'inventer à notre propos. Pas étonnant que certains croient que nous n'existons pas, après ça. Malgré tout, une certaine nostalgie m'envahit. Je n'ai certes pas envie de rentrer, et ma vie à la Citadelle ne me manque pas vraiment, mais je ne peux m'empêcher de me demander ce que deviennent mes frères et sœurs, comment se passe leur quête, s'ils vont bien.

Je cesse de l'écouter et me tire de ma rêverie en voyant Reynald revenir avec un inconnu. Ce n'est ni le premier ni le dernier à partager notre feu et notre compagnie, et personne ne demande comment il l'a rencontré ni pour il l'a ramené parmi nous. Toutefois, plusieurs regards curieux se posent sur lui. Ils espèrent que l'étranger se présentera, nous fera peut-être part de son histoire, comme certains acceptent de le faire. Pourtant, ce soir, personne n'ose l'interroger. Peut-être à cause de son silence renfermé. Ou plus prosaïquement en raison de sa carrure imposante et son allure de fauve si marquée. J'en viens à m'attendre à ce qu'il passe la soirée simplement dans son coin sans prononcer un mot, si bien que c'est presque une surprise quand son regard croise le mien, et plus encore quand il s'adresse à moi.

Un mince sourire se dessine sur mes lèvres en reconnaissant les mots de Casil un peu plus tôt. J'hésite à l'interrompre pour lui expliquer que ces paroles, sans être tout à fait des mensonges, sont largement exagérés et à éviter de prendre au premier degré. Mais quelque chose me retient. J'ai appris depuis longtemps à faire la différence entre ceux qui viennent me voir pour l'amusement ou le frisson, et ceux qui ont réellement besoin d'aide. Je ne mens pas à mes clients, et je ne suis pas là pour abuser de la crédulité de pauvres gens désemparés. Je suis là pour amuser ceux qui le souhaitent et, parfois, conseiller ceux qui en ont le besoin du mieux que je peux. Peut-être est-ce une entorse aux Lois. Je me suis déjà posé la question, sans parvenir à y trouver de réponse satisfaisante. Comme je me suis déjà demandé ce que je ferais si un jour j'avais réellement une Vision lors d'une de ces consultations. Mais je n'estime pas que mes actions aient un impact suffisant sur le Destin pour que les Anciens m'en tiennent véritablement rigueur, alors je continue. Et ce soir, j'ai l'impression que je peux l'aider, lui.

Alors je me tais, et je le laisse continuer. Ses premières paroles me laissent perplexe. Peut-être à cause de ce que je suis, de ce que je sais sur ceux qui ont effectivement le pouvoir de lire l'avenir et de la façon dont cela fonctionne, je ne vois pas en quoi connaître une personne serait nécessaire. Mais peu importe, là n'est manifestement pas le sujet qui l'intéresse. Sa question, toutefois, me déstabilise encore davantage. L'espace d'un instant, je me dis que ce serait plutôt une question à poser à Telabeth. Il ne saurait peut-être pas y répondre mieux que moi, mais il est certain qu'il saurait mieux y réfléchir, la considérer sous tous ses aspects. Lui donner une réponse plus complète, à défaut d'être plus satisfaisante. Mais Telabeth n'est pas là, et c'est à moi que s'adresse ce tigre dont j'ignore le nom. La tête penchée sur le côté, je le dévisage un moment, légèrement décontenancée par sa logique. Finalement je prends la parole d'une voix douce, tempérant mes mots par un sourire.

C'est une question bien étrange, surtout après ce que tu viens de dire. Tu estimes que j'ai besoin de te connaître pour prédire ton avenir, mais pas pour te dire qui tu es ?

Je marque une légère pause, le temps de me demander si mon pouvoir pourra vraiment m'aider à répondre à sa question. Il est bien le premier à me demander ça... Je me dis que ce n'est pas impossible. Et que je n'ai pas grand chose à perdre à essayer. Je suis bien placée pour savoir que les rêves en disent beaucoup sur ceux qui les font. Et j'ai appris à y déchiffrer bien des choses, à force de lire ceux de tant de gens. Mais j'aurai besoin qu'il m'aiguille un peu, si je veux vraiment pouvoir lui être utile. Mon sourire s'efface, remplacé par une mine sérieuse, et je hoche la tête en reprenant :

C'est possible. Peut-être. Mais qu'est-ce que je pourrai te dire que tu ne saches déjà ? Est-ce que tu peux me dire qui tu es ? Ou du moins qui tu crois être.

Hybride
Nurmahal
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MessageSujet: Re: Sur la place chauffée au soleil   Sur la place chauffée au soleil 660830Image55Jeu 27 Mar - 20:11

C'est possible. Peut-être. Mais qu'est-ce que je pourrai te dire que tu ne saches déjà ? Est-ce que tu peux me dire qui tu es ? Ou du moins qui tu crois être.

Le tigre demeura muet un petit moment, semblant réfléchir à la réponse qu'il allait donner. Puis il saisit son bâton et le posa entre lui et la saltimbanque avant d'ôter la pièce de tissu révélant sa véritable nature. La lame luit faiblement en accrochant un rayon de l'astre déclinant. Désignant l'arme, Nur déclara d'un ton égal :

-J'ai tué des hommes avec cette arme. Les premiers à mourir ont été de pauvres bougres qui avaient voulu m'empêcher de fuir mon maître. Plus tard, elle en a eu d'autres. Elle leur a percé la peau, coupé le cou, brisé les os. Un homme l'a eue coincée entre ses dents et est mort étouffé par son propre sang. Mais je ne voudrai surtout pas que vous ne voyiez en moi qu'un simple meurtrier. Avant tout je ne suis qu'un vecteur. Je n'ai pas été le premier à manier cette lance, elle est passée entre les mains de nombres de mes ancêtres.

Une pause inconfortable. Le tigre est comme dans un état second, il n'a plus très bien conscience d'être en train de confier à une inconnue des choses qu'il n'a jamais seulement osé imaginer révéler à quelqu'un. La raison n'a plus d'emprise sur lui, il cède au désir longtemps refoulé de se délester d'une part de son fardeau.

-Ils s'assemblent parfois autour de moi, blafards, les nuits où les étoiles ont honte de montrer leurs feux et se cachent derrière les nuages. Ils sont si faibles qu'ils doivent laisser le vent porter leurs paroles et que je dois tendre l'oreille pour l'entendre. Dans ces instants je prends garde à mes moindres mouvements. Je sais qu'un geste brusque de ma part les renverrait à la nuit. Ils me racontent longuement les tueries du passé, le fracas de leur lutte pour la liberté de notre peuple. Mon père les accompagne.

Un éclair de contrariété passe dans le regard de l'hybride.

-Lui, je ne le vois pas. Lorsque je chemine seul, je sens parfois le poids d'un regard sur ma nuque. Il n'y a jamais personne bien sûr. C'est lui, pourtant. Dans les feuilles qui ne tarderont pas à être réduites en humus, dans la boue sanglante des escarmouches, dans le regard suppliant des hommes que je tue. Il est de mèche avec les autres. Tous ensemble, ils me poussent sans relâche vers quelque chose. Je ne sais pas ce que c'est pour la bonne raison que ce n'est pas encore. Mais cela sera. Ou du moins...cela à de grandes chances d'être ajoute t-il après une courte hésitation.

Nurmahal a conclut sa confession d'une voix sourde, solennelle presque. Il ne se rend pas compte d'à quel point il est cryptique et mets en difficulté l'humaine en face de lui. Il n'éprouve aucun soulagement, au contraire, et il observe à présent son interlocutrice en espérant absurdement qu'elle démêlera tout cela.

Dragnis
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MessageSujet: Re: Sur la place chauffée au soleil   Sur la place chauffée au soleil 660830Image55Sam 29 Mar - 22:20

Ceux de mes compagnons qui étaient installés les plus près de nous commencent à s'éloigner discrètement alors que le dialogue s'entame afin de nous laisser quelque intimité et de conserver à cette discussion un tant soit peu de caractère privé. Ils savent que la discrétion est une chose à laquelle je tiens particulièrement envers mes "clients", et bien que celui-ci ne paye pas, je le considère comme tel. Les mouvements s'interrompent brièvement, les coups d’œil curieux se font légèrement inquiets alors que l'hybride dévoile son arme. Pourtant, il me suffit d'un regard pour les rassurer et les convaincre de vaquer à leurs occupations. Certes, son geste aurait pu être menaçant, l'a sans doute semblé à mes amis, mais il m'apparaît évident, à moi, qu'il n'en est rien. S'il avait voulu s'en prendre à nous, je ne doute pas qu'il aurait pu le faire sans aucun mal, mais il ne s'y serait certainement pas pris de cette façon. Il veut seulement des réponses, et cette lame fait partie de la question.

Les mots disent souvent bien plus que celui qui les prononce ne le croit, ou ne le veut. Je me souviens de l'Ancien qui m'avait dit cela, il y a des années. J'étais trop jeune alors pour comprendre, mais je n'ai jamais oublié. Ce n'est que depuis que je parcours le monde d'En-Bas, que j'écoute des inconnus me parler d'eux en espérant que je leur dévoilerai ce qui les attend, que j'ai appris et compris ce qu'il voulait dire. Et ce soir encore, ces paroles me reviennent en mémoire. Car ils me parlent, ces mots qu'il est en train de prononcer, ils me racontent bien des choses, bien plus, peut-être, qu'il n'en a conscience. Ils me disent sa liberté, ce qu'il a fait pour l'obtenir, le prix qu'il lui accorde. Sa violence, son combat, ses combats, son histoire, son passé. Mais ils me parlent aussi de ses sentiments. Des formulations, des expressions, le choix d'un mot plutôt qu'un autre. Contradictions, incohérences, dénis, qui me racontent ses regrets, ses dégoûts, ses sentiments contradictoires, ses incertitudes.

Je pourrais lui répondre dès maintenant, je crois, simplement grâce à ce qu'il vient de me dire, à la façon dont il l'a dit. Mais j'aurais peur d'être incomplètement, de me tromper ou d'avoir mal compris certaines choses. Et il n'y a pas d'urgence. Il n'a pas besoin de repartir dans l'instant ou de couper court à notre entretien. Quand le temps ne joue pas contre nous, pourquoi presser les choses ? Alors, sans un mot et sans le quitter des yeux, je tends la main vers la boule de cristal à côté moi, et je la dépose entre nous, en profitant pour changer de position et m'installer en tailleur face à lui. Il ne s'agit que d'un accessoire en réalité, je n'en ai aucun besoin pour utiliser mon pouvoir. Mais je m'y suis habituée, et je me suis rendue compte qu'il m'était devenu plus facile de faire avec que sans. De plus, elle offre une certaine touche d’authenticité parfois bien utile. Non pas que je cherche à le tromper ou à l'épater par des tours, bien au contraire, mais cela peut aider bien plus qu'on ne le penserait. Comme ces médecines qui fonctionnent tellement mieux sur ceux qui y croient. Je lui adresse un demi-sourire, peut-être pour le rassurer.

Tu as parlé. Voyons maintenant ce que tu as à montrer.

Les mains posées sur la sphère, je ferme les yeux et me concentre un instant. Quand je rouvre les paupières et que mes mains s'écartent, le cristal semble prendre vie et une image, d'abord floue, s'y dessine peu à peu avant de s'animer. Volontairement, je n'ai pas choisi ce qui allait apparaître, rêve ou cauchemar. Savoir ce qui va s'imposer en premier est aussi un moyen d'apprendre bien des choses. Bien qu'en l'occurrence je ne sois guère surprise d'y deviner un cauchemar. Un hybride qui ressemble à celui qui se tient en face de moi mais qui n'est pas lui, que je devine être ce père dont il m'a parlé, se tient debout, entouré par les flammes. Il porte la même hallebarde et s'en sert pour combattre une horde d'ombres se ruant sur lui sans fin. La violence de la scène suffit à me mettre mal à l'aise, et je n'ai pas besoin d'attendre la fin pour deviner qu'il va tomber, vaincu et dévoré par le feu, aussi je ne m'éternise pas et cherche un autre rêve.

C'est bien lui cette fois qui apparaît, dans un décor qu'il me faut un certain temps pour identifier comme étant le pont d'un bateau. Il est entouré d'un groupe hétéroclite, bien que majoritairement masculin, de toute évidence l'équipage du navire. Il semble en faire lui-même partie, en fait. L'atmosphère est joyeuse, amicale, les plaisanteries fusent tandis que chacun travaille. Tout semble bien se passer, jusqu'à ce que le tigre relève les yeux vers l'horizon. Au-dessus de la mer, à quelque distance, flottent en effet plusieurs silhouettes diaphanes. Son père, à nouveau, et ce que je suppose être d'autres esprits dont il a parlé, l'observent d'un regard désapprobateur et lui adressent de silencieuses admonestations. Les visages fantomatiques semblent se rapprocher de plus en plus, jusqu'à ce que le rêve ne prenne fin de lui-même, remplacé par un autre.

Sombre, d'autant plus par contraste avec le soleil qui régnait sur la scène précédente. Pas d'hybride cette fois mais un elfe, debout, entouré de cadavre. Mes yeux s'écarquillent de stupeur alors que je reconnais son visage. Ses joues sont couvertes de suie ou de poussière, et son regard est sombre, dangereux, méconnaissable, pourtant je ne doute pas un instant que ce soit bien le même homme qui m'a sauvé la vie il y a si peu de temps. Nufhaj ? Sous l'effet de la surprise, je me rends à peine compte que j'ai laissé échappé un murmure. Il porte le même uniforme que lorsque je l'ai rencontré, si ce n'est qu'il est ici entièrement noir à l'exception du symbole d'un rouge éclatant qui remplace le blason de la Garde, et que je ne reconnais pas. Un autre Nufhaj apparaît, d'apparence et de couleurs normales cette fois, mais qui semble déplacé dans ce décor, comme s'il venait d'une autre scène. Il prononce des morceaux de phrases qui semblent ne pas s'enchaîner les uns aux autres, tandis que le Nufhaj sombre continue d'avancer au milieu des dépouilles sans lui prêter attention, portant ses deux épées ruisselant de sang.

"Le bien et le mal n'existent pas... Seul je ne peux rien... À la paix... La justice est notre seule loi..."

J'interromps l'illusion un peu brusquement, encore sous le choc d'avoir croisé mon sauveur dans les rêves de cet inconnu. Étrange Destin en effet, qui semble constamment ramener cet elfe à l'un des miens... Mais ce n'est pas le sujet pour l'instant, et je m'interrogerai à son propos à un autre moment. Je fais un effort pour me concentrer sur le songe suivant, qui ressemble à une scène des plus banales dans un village quelconque. Peut-être est parce que je ne suis pas d'ici, que je n'ai pas l'habitude de fréquenter réellement quiconque à part ma troupe, mais il me faut un certain temps pour réaliser le détail qui ne correspond pas à la réalité. Il y a des hybrides, dont le tigre qui m'intéresse, ce qui en soit n'aurait rien d'extraordinaire, si ce n'était qu'ils sont tous manifestement aussi libres que les autres villageois. Hybrides et humains, vivant ensemble en harmonie comme des égaux. Alors que le point de vue change, je remarque plus loin, à l'écart du village, la hallebarde, plantée à même la terre, recouverte de poussière et de lierre, oubliée là. Une ombre s'en dégage, et l'on peut percevoir un murmure ténu mais menaçant qui en émane, mais que les personnages de l'illusion ne semblent pas remarquer.

Humains...

Humains. Bien sûr. Ce n'est qu'à ce moment que la réalisation me frappe de plein fouet. Sans doute n'ai-je pas assez l'habitude de faire attention aux races, ne faisant pas réellement de différence entre elles. Mais maintenant que j'ai remarqué, je ne peux pas ne pas le voir. Humains. Tous les villageois qui ne sont pas hybrides, humains. Les victimes du Nufhaj ténébreux, humaines. L'équipage du bateau, humain. Et, même si elles étaient trop indistinctes pour le remarquer, je ne doute pas que les ombres qui attaquaient le tigre du premier cauchemar l'étaient également. C'est logique, naturellement, après tout ce sont les humains qui ont fait des hybrides des esclaves, qui les maintiennent dans cette servitude, qui les traquent lorsqu'ils s'échappent. J'aurais dû le réaliser plus tôt.

Je relève les yeux vers le tigre sans plus prêter attention aux illusions, que je laisse pourtant continuer, plus pour son bénéfice que pour le mien. Il est rare d'avoir la chance de contempler ses rêves lorsqu'on est éveillé, et cela peut parfois apporter une conscience et une compréhension dont on serait incapable sinon. Pour ma part, je pense avoir vu ce dont j'avais besoin, et je réfléchis maintenant à ce que je vais dire tout en l'observant. Les mots, encore une fois. Ne pas être trop catégorique, mais l'être suffisamment pour ne pas causer le doute. Arriver à faire comprendre ce que l'on veut dire, en évitant les incompréhensions et les quiproquos. Je prends le temps de mettre mes idées en ordre avant de chercher à les exprimer.

Un paradoxe. Une contradiction. Voilà qui tu es. Tu es fier de ta liberté. C'est pour elle que tu t'es battu. Que tu te bats encore, peut-être. Pourtant, tu n'es pas libre. Tu ne te sens pas libre. Tu te bats pour une haine qui n'est pas la tienne. Ou pas entièrement. Elle est celle de ton passé. De ton histoire. De ton père. Tu fais ce qu'il voudrait que tu fasses. Ou ce que tu crois qu'il voudrait que tu fasses. Parce que tu t'y sens contraint. Et parce que tu t'y sens contraint, tu as l'impression que le combat que tu mènes n'es pas vraiment le tien. Ou pas entièrement, peut-être. Tu l'as dit, tu n'es qu'un vecteur. Tu as commencé en me disant que tu avais tué des hommes avec ton arme, pourtant ensuite tu as parlé comme si c'était elle qui était la seule responsable.

Je me rends compte que j'ai perdu le fil de mes idées si bien organisées. Ce que je viens de dire était inutile, je suis presque sure qu'il en a parfaitement conscience. Je marque une légère pause avant d'en arriver au point délicat. Peut-être qu'il le sait déjà. Peut-être qu'il ne voudra pas l'entendre. Peut-être que l'attaque directe et franche n'est pas la meilleure option. Je prends une inspiration avant de conclure.

Je crois que tu t'es libéré, mais que tu te sens toujours esclave, non plus des humains mais de la cause que tu sers, de ce vers quoi tu te sens poussé. Je crois que tu as peur d'y faire affront en ne haïssant pas suffisamment les humains. Je crois que tu veux la paix alors que tu penses devoir vouloir la vengeance. Et je crois que c'est justement parce que tu laisses d'autres que toi te dicter ton Destin que tu as eu besoin ce soir de demander à une inconnue qui tu es.

Je me mords la lèvre au moment où je me tais en me rendant compte de ce je viens de faire. Et en espérant qu'il ne remarquera cette réaction, que je n'ai pas su retenir en m'entendant prononcer ces dernières paroles. Je m'étais promis de m'en tenir au fait, de rester objective, de ne pas exprimer mon opinion. Ce que j'essaye toujours de faire. Je suis là pour aider, guider peut-être, mais pas pour juger. Mais il est trop tard pour ravaler mes mots. Et en réalité, je n'ai aucune idée de la manière dont il prendra tout ce que je viens de lui dire. Il est probable que sa réaction sur mon trait d'opinion ne soit pas ce que j'aie à redouter le plus. Certaines personnes n'apprécient pas autant qu'elles le croyaient de se voir dire la vérité en face, et j'ai bien conscience d'avoir touché des sujets sensibles. Je n'ai pas vraiment peur pourtant, je me contente de le regarder, attendant patiemment la suite.


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MessageSujet: Re: Sur la place chauffée au soleil   Sur la place chauffée au soleil 660830Image55Jeu 3 Avr - 21:46

Tu as parlé. Voyons maintenant ce que tu as à montrer.

Elle a posé ses mains blanches sur la boule de cristal et ferme les yeux. L'objet n'est visiblement pas le simple accessoire de charlatan que Nur imaginait. L'hybride ne la vit pas rouvrir les yeux, déjà étrangement captivé par les volutes qui s'y déroulaient et peu à peu prenaient forme pour donner vie au rêve qui allait s'y refléter.

Car c'était un rêve. Ou plutôt, un cauchemar. Un de ceux qui hantaient l'hybride fatigué lorsqu'il errait à la lisière du sommeil en divaguant. Non, la jeune fille n'usait pas de drogues pour faire délirer ses clients. C'était bien mieux : elle était oniromancienne. Dans le rêve, son père se débattait, au milieu d'un tourbillon de flammes et d'ombres haineuses, dans un fracas de fin du monde. Dans son regard, Nur peut voir briller toute la haine et le désespoir qui sont aujourd'hui les siens. Il se remémore la rage de cette nuit-là, le goût amer et persistant qu'avait laissé le sang des hommes dans sa bouche. Sa honte de devoir laisser d'autres mourir à sa place dans l'espoir absurde qu'il les vengerait d'une manière ou d'une autre. Mais déjà, l'illusion s'estompe et s'en va, aussitôt remplacée par une autre, que le tigre reconnaît immédiatement.

Il s'agit du Mar, le navire commandé par Do. Le roulis berce doucement les oreilles des marins dolents, Nurmahal se voit s'empêtrer dans les cordages en compagnie du mousse Sorezzini, son ami. Tout est paisible si l'on excepte les sinistres spectres qui font signe au jeune hybride, au loin, et qui se rapprochent inexorablement. Les souvenirs contradictoires se bousculent dans l'esprit de l'ancien esclave, la joie et les bagarres y disputaient à la mélancolie et la rancœur. Il sembla un instant que le jeune mousse dévisageait Nur à travers les parois de la boule de cristal d'un air inquiet, comme si il ne souhaitait pas voir son camarade céder aux injonctions des spectres. Mais avant que quoique ce soit ne se précise, l'image changeait et l'étrange magie de la jeune fille aux cheveux de ciel donnait naissance à un autre échos des somnolences tourmentées de son client.

C'est presque sans surprise que Nur reconnut Nufhaj en la personne du meurtrier qui déambulait au milieu des cadavres. Il reconnaissait ce cauchemar aussi, qui le poursuivait depuis la brève discussion qui avait eu lieue entre lui et le garde. Il n'ignorait pas sa signification. Par ses mots, il avait effectivement cherché à amener l'elfe à emprunter le chemin que semblait arpenter cet écho cauchemardesque au rictus sauvage. Un chemin pavé de violence et de ressentiment, un chemin que Nur se destinait depuis la nuit cauchemardesque où il avait ressenti jusque dans sa chair l'ignominie des hommes qui avaient enchaîné son peuple et tué ses amis. Accaparé par ses pensées, le félin n'aperçut même pas le second écho de l'elfe prononçant des suites de mots sibyllines, issues de l'argumentaire que Nufhaj avait opposé à ses véhémences. Peu à peu, l'imagerie sanglante retournait aux ténèbres et laissèrent place à une nouvelle scène qui prenait place en un lieu inconnu et qui laissa Nurmahal secoué.

Il ne se souvenait pas de ce rêve. Il n'en reconnaissait aucune des composantes. Tout lui était étranger, et pourtant, un sentiment de nostalgie l'envahit peu à peu tandis qu'il regardait le songe se dérouler. Il s'agissait d'un petit rassemblement de chaumières baignées par une lumière estivale planté au pied d'une colline verdoyante et entouré par de modestes champs. Un hameau de campagne qui respirait la paix et la simplicité. Des hommes et des hybrides y circulaient, se saluaient, s'interpellaient. Comme des égaux. Nur s'aperçut, vêtu d'une belle chemise de lin, transportant un énorme fagot sur une épaule et un enfant humain sur l'autre. La complicité entre lui et le bambin qui prenait un malin plaisir à lui entortiller les moustaches crevait les yeux. Ils échangeaient des paroles sur un ton qu'on devinait badin. Quelque part, une jeune personne chantait un air familier. Le tigre reconnut avec stupeur l'air mélancolique qui venait de le bouleverser sur la place des ménestrels. Il flottait, aérien, comme un appel venu d'une autre rive, d'une rive trop lointaine pour être jamais atteinte. Puis le Nur du rêve s'arrêta devant une chaumière dont la porte était faite de chêne sculpté et y frappa. La porte céda alors la place à une paysanne à qui Nur tendit le garnement, lequel eut vite fait de se blottir dans les jupes de la jeune femme. Elle et Nur échangèrent quelques mots, toujours imperceptibles, puis l'hybride repartit vaquer à ses occupations. À cet instant, l'image se brouilla et l'imagerie bucolique retourna au néant. Par la suite, ce fut un défilé de songes crevés, de délires inintelligibles qui s'entremêlèrent dans les volutes contenues par les parois de cristal. Mais rien ne pouvait effacer la détresse qu'avait ressentie l'hybride devant le rêve que la mage venait de tirer des profondeurs de son être.

Oublie ces folies !

L'hybride entends à peine la voix sifflante de sa haine. Il est encore tout entier tendu vers ce songe dont il ne sait pas encore très bien s'il veut en faire son avenir ou le réduire en cendre. C'est à cet instant que la jeune voyante choisit de tenter de traduire ce qu'elle a aperçu en même temps que lui.

Un paradoxe. Une contradiction. Voilà qui tu es. Tu es fier de ta liberté. C'est pour elle que tu t'es battu. Que tu te bats encore, peut-être. Pourtant, tu n'es pas libre. Tu ne te sens pas libre. Tu te bats pour une haine qui n'est pas la tienne. Ou pas entièrement. Elle est celle de ton passé. De ton histoire. De ton père. Tu fais ce qu'il voudrait que tu fasses. Ou ce que tu crois qu'il voudrait que tu fasses. Parce que tu t'y sens contraint. Et parce que tu t'y sens contraint, tu as l'impression que le combat que tu mènes n'es pas vraiment le tien. Ou pas entièrement, peut-être. Tu l'as dit, tu n'es qu'un vecteur. Tu as commencé en me disant que tu avais tué des hommes avec ton arme, pourtant ensuite tu as parlé comme si c'était elle qui était la seule responsable.


Ne l'écoute pas. Ce n'est qu'une humaine envieuse et apeurée. Croque-la. Tu en as envie n'est-ce pas ? D'entendre ses os craquer comme des brindilles...


Je crois que tu t'es libéré, mais que tu te sens toujours esclave, non plus des humains mais de la cause que tu sers, de ce vers quoi tu te sens poussé. Je crois que tu as peur d'y faire affront en ne haïssant pas suffisamment les humains. Je crois que tu veux la paix alors que tu penses devoir vouloir la vengeance. Et je crois que c'est justement parce que tu laisses d'autres que toi te dicter ton Destin que tu as eu besoin ce soir de demander à une inconnue qui tu es.


Les mots de la jeune saltimbanque s'impriment lentement dans la conscience chamboulée de Nur. Dégagent un chemin que l'hybride n'avait jamais sérieusement songé à emprunter.

Je crois que tu veux la paix... avait-elle affirmé.

Intérieurement, sans plus prêter attention aux gémissements éraillés de sa haine, il les accepte comme sa réalité. Il avait fallu qu'une autre que lui tire les conclusions à sa place, mais enfin il savait d'où venait cette douce langueur qui le saisissait parfois alors qu'il observait des enfants d'hommes jouer au port tandis que leur mère vendaient du poisson à la criée sur les quais. Il avait compris l'origine de ses mélancolies, de ses doutes, de ses réveils en sursaut, la nuit.

Lui, Nurmahal, désirait verser son sang pour la paix. Cette révélation, qui n'en était pas vraiment une, lui apporta néanmoins une certaine sérénité. Il savait ce qu'il avait à faire.

Le tigre considéra la jeune femme qui lui faisait face et réalisa qu'il ne connaissait même pas son nom. Son collègue l'avait pourtant hurlé à maintes reprises plus tôt dans la journée, mais il ne se souvenait de rien. Et grâce à ses augures, elle avait dissipé les troubles qui l'agitaient depuis si longtemps. Nur n'aimait pas être redevable à des humains, et sa gratitude pouvait parfois être à double tranchant. Néanmoins, l'humanité de la jeune mage n'était pas attestée, l'aura discrète qui l'entourait s'était encore renforcée depuis qu'elle avait fait usage de ses pouvoirs, ce qui poussait le fauve à lui supposer une ascendance elfique bien dissimulée.

Dans tous les cas, il pensait éprouver à son égard une forme de reconnaissance équivoque, teintée d'appréhension. La demoiselle n'avait pas été le charlatan qu'il avait supposé inconsciemment. Elle le connaissait à présent mieux que quiconque, intimement. En temps normal, la situation aurait été réglée de façon définitive. La Pie avait des contacts dans cette ville. Il n'aurait pas été trop difficile de faire disparaître une troupe de comédiens itinérants, avec de la patience et l'aide de quelques professionnels du coutelas. Mais ladite troupe comptait des hybrides. Non, décidément, le hors la loi prendrait le risque de faire confiance à la jeune femme.

-La paix n'est pas quelque chose à quoi je peux aspirer dans l'immédiat.

Nur sent son interlocutrice perplexe. Elle devait avoir vu les traits du félin se détendre comme elle devait en avoir déduit que ses mots avaient trouvé bon accueil. Ce qui avait été le cas, mais pas précisément avec le résultat escompté. L'hybride avait bien assimilé qu'il ne serait en paix avec lui-même que lorsqu'il accepterait les humains. Simplement...

-Abandonner la voie tracée par mes ancêtres serait une trahison, non seulement envers mon propre sang mais aussi envers mes frères esclaves.

La voix du tigre est basse et grondante et son expression sans équivoque. Il a planté son regard mordoré dans celui de son interlocutrice.

-Le joug que je porte, je ne puis le secouer ainsi. Grâce à vos sortilèges, j'ai également réalisé que je ne le voulais pas réellement ; mes aspirations tenaient plus de la pulsion incontrôlée que du désir agencé.

Ces derniers mots sonnent faux, il le sait et le sent. Mais il sait également que tergiverser plus longtemps serait une injure à tout ce que les hybrides furent au temps jadis. Sa décision est prise. De sa ceinture, l'hybride extrait lentement un long coutelas, dont il appuie le fil de la lame usée contre sa paume. Ses yeux brillent tandis qu'il scelle à nouveau son sort.

-Voilà tout le sang que je pourrai jamais verser pour la paix, déclara t-il.

Et la lame de mordre brutalement la chair jusqu'au sang, lequel s'écoule rapidement. Le tigre serra le poing au-dessus du sol poussiéreux et macula ce dernier avant d'envelopper la plaie dans un chiffon.

-Il me reste à présent à vous dédommager pour avoir répondu si diligemment à ma requête, enchaîna l'hybride d'un ton plus léger, comme si la saltimbanque venait de lui prédire richesse gloire et fortune. Je n'ai hélas rien à vous offrir, si ce n'est mon bras. Aussi, si par aventure vous vous retrouviez dans une position difficile, n'oubliez pas mon nom. Seulement, assurez-vous des oreilles où il tombera... Dans le cas où je me trouverai dans la possibilité de vous tirer d'affaire, je m'exécuterai volontiers. Je suis Nurmahal.

L'hybride rengaine son coutelas et entreprends de bander sa plaie avec le chiffon rougi. Puis, il recouvre la lance du vieux tissu, dissimulant à nouveau son éclat mortel au regard d'autrui. Nonobstant, il continue la conversation :

-Mais je me rends compte que j'ai manqué à toutes les politesses que les codes des humains exigent. Je ne connais même pas votre nom, ni d'où vous et les vôtres venez, bien que je parierais que le sang des elfes vous ait donné naissance. Après tout, vous sembliez connaître Nufhaj...

Dragnis
Arsinoë Maranis
Arsinoë Maranis
Dragnis

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MessageSujet: Re: Sur la place chauffée au soleil   Sur la place chauffée au soleil 660830Image55Lun 7 Avr - 21:10

Pas de colère. Pas de muscles crispés, de poings fermés, de mâchoire serrée. Je ne sais toujours pas ce qu'il pense de mes paroles, mais au moins a-t-il l'air de bien les accepter. Tant mieux, je préfère que les choses se passent de cette façon, bien sûr. Certes, je n'aurais de toute manière pas eu grand chose à craindre de lui, certainement, mais ma brève expérience du combat et des blessures, avec les chasseurs qui voulaient s'en prendre à Azor, m'a suffit pour décider que je préférerais éviter ce genre de situation autant que possible.

Je ne réagis pas quand il commence à répondre, me contentant d'attendre la suite de ce qu'il peut avoir à dire concernant mon interprétation. Je le regarde d'un air un peu perplexe après son entrée en matière, peut-être, attendant la suite sans parvenir à la deviner. Ou peut-être me refusant à le faire. Je hausse un sourcil peu convaincu quand il dit ne pas le vouloir réellement. Il n'a pas l'air d'y croire beaucoup plus que moi, d'ailleurs... Pourtant, je ne dis rien. Parce que je sais que je ne le dois pas. C'est un choix qui lui appartient, sur lequel je n'ai pas le droit d'influencer. J'ai répondu à ses questions, je lui ai montré les chemins qui s'offraient à lui, il ne m'appartient pas de le conseiller sur lequel il doit prendre.

Je le sais. C'est ce qui m'a été inculqué depuis que je suis en âge de comprendre. Nous sommes là pour observer, pas pour intervenir. Et pourtant, je n'arrive pas à me débarrasser de ce goût amer dans ma bouche, de cette sensation d'échec. Il n'a pas compris. Ou plutôt, il a refusé de comprendre. Il a fait son choix et, malgré moi, je n'arrive pas à m'empêcher de le désapprouver. De penser qu'il a tort. Je ne devrais pas juger, bien sûr. Les Anciens avaient peut-être raison de s'inquiéter à mon sujet, finalement. Peut-être...

Son geste me tire brutalement de mes pensées. Je fixe sa main ouverte d'un air hébété. Cette fois je n'ai pas de paroles à ravaler, rien à répondre à ce que je ne comprends tout simplement pas. Oh je comprends les mots qu'il a prononcés évidemment, et je devine le symbole qu'il a voulu faire passer, mais en même temps... Ça ne me semble avoir guère de sens. Il a versé du sang oui, mais qui n'a certes rien fait pour la paix, aussi aurait-il aussi bien pu s'abstenir. Mais il ne s'agit là que d'un détail. Plus important, pourquoi, pourquoi, quand je lui parle de paix, pense-t-il en tout premier lieu à verser le sang – fut-ce le sien ? Voilà une idée qui me semble contre-productive, pour le moins. Si le sang et la violence pouvaient apporter la paix, elle serait installée depuis longtemps. Or ce n'est de toute évidence pas le cas...

L'incompréhension laisse place à la surprise quand il parle de me dédommager. Il est vrai que je fais généralement payer ce genre de consultations, mais c'est bien davantage par souci de contribuer à pourvoir aux besoins de la troupe que par appât du gain. Je garde très peu de l'argent que je gagne pour moi-même. Il ne serait pas le premier à qui je ne demanderais rien en échange de mes réponses, et certainement pas le dernier. Un sourire en coin, peut-être un rien moqueur, s'installe sur mes lèvres quand j'entends sa proposition. Peut-être à cause de ma déception face à sa réaction, je me sens d'humeur plus cynique que je ne le suis d'ordinaire. Si je réplique sur un ton amical, une pointe d'amertume se laisse néanmoins entendre légèrement dans ma voix.

Si je me trouve dans une position où je pourrais avoir besoin de ton bras, il faudrait une chance assez extraordinaire pour que tu sois dans les parages, assez près et disponible pour venir tenir parole. Et, très honnêtement, c'est le genre de situations que je préfère éviter, aussi j'espère ne jamais avoir besoin d'y faire appel.

Ce qui n'est absolument pas contre lui, bien entendu, je préfère tout simplement éviter la violence autant que possible, et a fortiori si elle est dirigée contre moi ou ceux auxquels je tiens, je ne vois guère d'autres cas de figure où je pourrais avoir besoin de faire appel à ce qu'il me propose. Je ne sais pas si ça le convaincra, toutefois, il ne serait pas non plus le premier à insister pour payer ce qu'il considère être une dette. Un autre concept que j'ai encore du mal à saisir, malgré mes efforts. Peu importe de toute façon, j'ai ma petite idée sur ce qu'il pourrait faire pour moi, si jamais il devait insister.

Mais ce sera pour plus tard, peut-être, puisque déjà il reprend la parole, changeant à nouveau de sujet. Cette fois j'affiche un air franchement amusé, et pour plusieurs raisons. Ce n'est pas la première fois qu'un éventuel héritage elfique est la première hypothèse avancée à mon sujet, bien que ce soit rarement aussi rapide. Peut-être parce que ce sont plus souvent des humains que je côtoie, du moins en ce qui concerne les gens qui ne connaissent pas déjà la réponse à cette question. Peut-être, aussi, parce qu'il préfère ne pas voir en moi une humaine ? Bien sûr, je pourrais facilement le convaincre qu'il a raison, simplement en dégageant de mes oreilles effilées les cheveux qui les cachent. Peut-être pourrais-je même lui faire penser que j'ai du sang hybride, en lui montrant mes écailles. À moins que ça ne lui fasse que comprendre immédiatement la vérité, comme Nufhaj l'avait fait. De toute manière, aucune de ces possibilités ne m'effleure vraiment l'esprit, et je n'ai pas besoin de prendre le temps de réfléchir pour savoir quoi répondre, d'un ton amusé légèrement teinté d'ironie.

J'ignorais qu'il n'y avait que chez les humains qu'il était considéré de bon ton que de se présenter... Quoi qu'il en soit, je m'appelle Arsinoë, et "moi et les miens" venons de partout et de nulle part, comme tous les saltimbanques itinérants. Quant au reste... Peut-être que je devrais te demander ce que tu serais prêt à parier, avant de répondre à cette question qui n'a pas été posée ? Ou bien... peut-être, plutôt, si c'est important ? Me verras-tu différemment, selon la réponse que je te donnerai ? Est-ce que tu te sentiras soulagé d'apprendre que celle à qui tu dois quelque chose n'est pas humaine ? Ou déçu que celle qui a répondu à tes questions le soit ? Suis-je une personne différente si le sang qui coule dans mes veines est d'une race ou d'une autre ?

Je suis prête à reconnaître qu'à l'origine, mon idée en posant ces questions n'était pas entièrement innocente. Il est très probable que ce soit une manière de lui faire reconsidérer sa position. Pourtant, au fur et à mesure que j'ai parlé, l'amusement et l'ironie ont laissé place à une curiosité sincère et réelle. Je ne suis pas d'accord avec son point de vue, certes, mais j'ai réellement envie de le comprendre, et il me semble que ses réponses pourraient m'y aider.

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