« Voici le boucher qui réclame vos têtes »L'homme n'avait pas crié une seule fois, quand je m'étais précipité sur ses gardes et l'en avait débarrassés en quelques secondes. Non, il s'était contenter de fuir en silence. Peut-être se doutait-il que je n'aurais aucun scrupule à tuer toute personne qui tenterait de lui venir en aide?
Je continuais à le suivre à quelques pas derrière lui, telle une ombre rouge à laquelle nul n'échappe. Finalement, la fatigue le fit trébucher et il chuta. Je cessai aussitôt ma propre course, franchissant le peu de distance qui me séparait de ma proie d'un pas lent et mesuré. Rejetant mon chaperon rouge sang et le bas de ma longue veste noire vers l'arrière, je m'accroupis à côté de l'homme.
Eh bien, cher comte! Notre petit jeu de chat et de la souris n'aura pas fait long feu. J'en serais presque attristé. Pitié... Pitié... Je vous donnerais tout ce que vous voulez, mais épargnez ma vie.Ces gémissements m'agaçaient. Sans ménagement, je lui décochai un coup de ma botte en cuir, renforcée par quelques plaques métalliques, droit dans la mâchoire. Le craquement qui retentit suite au choc me fit sourire de plaisir. Apparemment, le coup l'avait fracturé. Je posais alors un genou sur sa poitrine pour l'empêcher de se relever.
Fermez-la. Ayez un peu de dignité, vous êtes un homme, après tout. Ou vous voulez me faire croire que vous n'êtes qu'un lâche qui se pisse dessus dès que ses hommes se font balayés?Son regard plongea dans les ombres de ma capuche et ses yeux ne tardèrent pas à s'écarquiller. C'était souvent l'effet que faisait mon regard aux gens qui ne me connaissaient pas. Si mon œil droit était parfaitement humain, abstraction faite de son iris rouge grenat, mon autre œil lui possédait des caractéristiques plus animales telles qu'une pupille fendue et un iris doré. Difficile de soutenir un regard aussi étrange, n'est-il pas?
Le fils de la baronne d'Erachlion?!Oh mais c'est qu'on se souvient de moi, finalement! J'en serais presque flatté. Moi, je ne vous ai pas oublié... Vous pouvez me croire, comte Cherzan. Il est difficile d'oublier le visage de celui qui vous a tous pris, même ceux que vous aimiez. Et puis, je vous dois ça aussi...D'un geste, je désignais mon front où le Sceau des Traîtres m'avait été apposé au fer rouge. Je le vis tressaillir en contemplant cette marque en forme de T qui rongeait le centre de mon front. Je ne pus m'empêcher de sourire devant la terreur que je lisais sur son visage.
Vous savez ce qui va se passer maintenant, hein? Soyez fort, ça ne durera pas longtemps et puis... En six ans, j'ai pris le coup de main, vous savez...Lentement, je sortis de son fourreau le petit poignard qui pendait à ma cuisse. De l'autre main, j'enfonçai un bâillon dans la bouche du comte et l'y maintint. Avec une lenteur calculée, destinée à accroître la peur de ma victime, j'approchais la lame de son front. Celui-ci louchait pour continuer à observer la pointe de la lame. Mon sourire s'élargit, dévoilant mes dents semblables à des crocs. L'instant d'après, j'enfonçai la lame dans son front commençant à tracer une ligne verticale centrée sur l'arrête du nez. Je sentis son corps se crisper sous la douleur et ses cris étouffés par le bâillon. Il tenta de se débattre, mais je maintenais sa tête d'une main ferme. Une fois la première entaille finie, j'entamai une seconde, qui venait compléter la première pour imiter le Sceau des Traîtres.
Hum... Plutôt réussi. Je dirais même que c'est le meilleur que j'ai gravé jusqu'à maintenant si vous ne risquiez pas de croire que je me jette des fleurs. Allez! Plus qu'une autre étape et je vous libère, monsieur le Comte. Mais une petite question d'abord... Vous préférez que je commence par la tête ou par le cœur? D'ordinaire, je n'arrache ce-dernier qu'après avoir soigneusement décapité ma proie. Mais pour vous, je serais prêt à faire une exception.Son regard rougit par les larmes qui ne cessaient de s'écouler, me fixait avec encore plus d'horreur. D'un geste précis, je plantai la lame du couteau dans sa poitrine, lui arrachant un nouveau concert de cris étouffés. Une fois ma besogne accomplie, je plongeai mes griffes dans l'entaille, remontant jusqu'à son cœur et, quand enfin, je tins le cœur du meurtrier de ma mère dans le creux de ma main, une sensation de triomphe m'envahit. J'arrachai le cœur brusquement et le contemplai un moment avec envie.
Vous devez vous demander ce que je vais en faire, n'est-ce pas?Je reportai mon attention sur le comte et remarquai trop tard qu'il avait cessé de respirer. La mort l'avait soulagés de ses souffrances.
Bah, il n'aura pas tenu finalement.Je poussai un long soupir de déception, le cœur ensanglanté du comte toujours dans ma main. Attrapant l'un de mes coutelas de ma main libre, je séparai la tête du reste du corps et la portai à mon visage.
Je suis désolé, mais nous allons faire encore un peu de route ensemble, cher Comte.*** ***
L'aube pointait son nez quand je m'approchais des caravanes qui assuraient, moyennant quelques piécettes, un voyage plus sûre et rapide pour aller de ville en ville. J'avais d'abord subit le regard critique du caravanier qui semblait me prendre pour un excentrique.
Pour sa défense, mon apparence n'était pas des plus communes. Des bottes renforcées, un pantalon en cuir noir assez seyant, une chemise de coton elle aussi d'un noir de jais et déboutonnée dans sa majeure partie. Une veste noire en cuir venait compléter mon style vestimentaire et produisait un léger cliquetis, signe qu'elle avait été améliorée par quelques plaques métalliques chargées de dévier une lame. Et c'était sans oublier le chaperon rouge que je ne quittais jamais et me faisais office de cape depuis tant d'années que la partie basse était à présent déchirée à plusieurs endroits. Une ceinture de cuir rouge qui se mariait parfaitement avec mon chaperon entourait ma taille et comprenait nombre de sacoches et les fourreaux de mes coutelas y pendaient ainsi qu'un couteau de chasse. Quant à mes mains griffues, elles étaient bien à l'abri des regards dans ma paire de gants en cuir.
Ma tête émergeait tout juste de mon chaperon, laissant jaillir quelques mèches de cheveux gris. Considérant que j'aurais plus de chance en évitant de cacher mon visage au caravanier, je rabattis la capuche. Des cheveux gris et broussailleux encadrait mon visage fin. Deux balafres parcouraient le côté gauche de mon cou et remontait vers mon visage, l'une se perdant sous mon menton et l'autre courant le long de ma joue et s'arrêtant sous mon œil gauche que j'avais pris soin de cacher sous un cache-œil. D'une main, le caravanier indiquait celui-ci.
Sale blessure?Oui. Ça n'est pas facile tous les jours...Je lui décochai un sourire empreint de la tristesse. Après encore quelques secondes d'hésitation, le caravanier finit apparemment par décider qu'un jeune homme borgne vêtu d'une cape rouge ne représentait pas une grande menace, même si je surpris son regard dériver vers mes armes. J'étais certainement un chasseur ou un mercenaire à ses yeux ce qui n'aurait sûrement pas été le cas si je n’avais pas fait disparaître le Sceau sur mon front et modifié ma dentition de carnassier pour la rendre plus humaine à l'aide de ma magie. Pas très utile en combat, mais diablement efficace pour éviter les désagréments. Il m'annonçait donc le prix du transport et je le payais aussitôt avec quelques pièces retirées au petit butin que j'avais récupéré sur la dépouille du comte. Montant à bord de la caravane, je choisis de rester au bord de celle-ci afin de pouvoir admirer le paysage tranquillement et sans être cerner par d'autres passagers.
La caravane venait de partir depuis à peine deux minutes quand un cri se fit entendre derrière nous. J'avisais presque aussitôt une petite silhouette qui courait vers nous. C'était un jeune hybride et qui semblait à bout de souffle.
Caravanier! Je pense que nous avons un retardataire!Ma voix interpella l'homme qui conduisait notre caravane. Celui-ci se retourna et ricana en voyant l'hybride qui tentait vainement de nous rattraper.
Qu'il aille se faire voir, je m'arrêterais pas pour un de ces cul-terreux d'hybride! S'il veut grimper, alors il n'a qu'à nous rattraper et avoir l'argent pour sa place!Une colère sourde s'enflamma en moi devant la haine évidente que l'homme affichait pour les hybrides et l'envie de faire voler sa tête à plusieurs mètres de son corps naquit dans les méandres de mon esprit. Je n'y prêtai toutefois pas attention, me disant que ce caravanier aurait ce qu'il mérite au moment venu. Retournant mon regard sur l'enfant hybride qui nous avait presque rattrapé, je lui criai un encouragement, attrapai sa main quand elle fut à portée et l'hissai à bord de la caravane d'un geste. Le jeune hybride me remercia et mon regard dériva sur la marque d'esclave sur son épaule. Une sensation de pitié m'envahit en sachant ce que devait être la vie de cet enfant. Être esclave à son âge n'était pas de tout repos...
Alors, gamin?! Pas trop fatigué, j'espère?!Le caravanier éclata de rire, ce qui finit par faire éclater ma colère. Asseyant l'hybride de force à ma place, je me faufilai entre les passagers jusqu'à l'homme qui avait provoqué mon courroux. Conscient que je ne pouvais pas faire grand-chose devant autant de témoins, à moins de les tuer aussi pour couvrir mes traces.Je me contentai de lui décocher un regard meurtrier qui eut tôt fait de calmer ses élans sadiques. Sortant le prix d'une autre place de ma sacoche, je lui donnai l'argent que devait l'esclave. Le caravanier pris l'argent après une longue hésitation et ne prononça plus un mot à l'encontre de l'hybride.
Fulminant encore quand je revins auprès de l'enfant esclave, je fis taire ses remerciements et refusai sa proposition de me rembourser. Il tenta tout de même de me rendre ma place, mais j'hochai négativement de la tête.
Gardes-la, petit. Ce n'est pas les quelques heures que je vais passer assis par terre qui vont me gêner. J'ai déjà connu pire...Assis au pied de l'hybride, capuche rabattue sur le visage, j'écoutais distraitement la conversation que deux vieilles femmes animaient de leurs voix fortes.
Vous avez entendu ce qu'il s'est passé, cette nuit? On aurait soi-disant retrouvé les cadavres du comte Cherzan et de quelques-uns de ses hommes. Sa tête aurait été retrouvé à l'une des entrées de la ville, celle qui mène à la capitale... Son front portait le Sceau des Traîtres et son cœur aurait disparu comme les autres...Encore ce maudit tueur de noble... Je me demande ce qu'il fait de leurs cœurs... on ne les retrouve jamais.Peut-être les mange-t-il?Ne dites pas de sottises! Il doit sûrement les garder comme souvenir, je ne sais pas.Je souris en les écoutant. Si seulement elles savaient que le tueur de noble était derrière eux, la frayeur les ferait sûrement mourir sur place. Un gargouillis me fit alors sortir de ma rêverie. C'était le ventre du jeune esclave qui venait de se manifester. Son teint pâle était évocateur de malnutrition aussi sans hésiter une seconde, j'ouvris la sacoche qui pendait à ma ceinture et en sorti quelques biscuits secs que je lui tendis.
Manges, gamin. Tu n'as pas l'air en forme.Le jeune esclave se confondit en excuses, me remerciant pour ma générosité qu'il ne pouvait accepter. Il ne put cependant pas finir son babillage, car j'enfournai l'un des biscuits dans sa bouche en lui souriant amicalement.
Tais-toi donc et profite juste, idiot. Et ne t'inquiète pas pour moi. J'ai déjà mangé tout mon soûl.Le petit s’exécuta donc et dès qu'il eut la bouche libre, me remercia de sa petite voix. Pour toute réponse je me contentai d'ébouriffer ses cheveux et m'avachis de nouveau dans les replis de ma cape rouge sang.