Enfant mystère
On dit que le Temps fait oublier les douleurs, qu'il éteint les vengeances, apaise la colère et étouffe la haine. Le passé sombre est comme s'il n'eût jamais existé. Alors pourquoi est-ce que malgré toutes ses années passées, ma soif de haine ne s'est-elle pas tarie? Pourquoi ne puis-je me débarrasser de cette souffrance qui chaque fois me réveille en sursaut? Peut-être est-ce parce qu'ils ont tort. Que le Temps ne peut guérir certaines blessures... Oui. Ils se leurrent tous. Semer la haine, c'est être prêt à ne récolter que violence, vengeance et mort... Et puisque ces hommes avaient choisi de répandre la haine dans mon cœur brisé, alors je viendrais réclamer leurs vies sur l'autel de la vengeance...
Mon existence avait pourtant commencé dans la joie et le bonheur. Naître fils de baronne octroie
de facto des facilités de vie que peu en ce monde peuvent se permettre. Néanmoins, ma vie ne fut pas une partie de plaisir pour autant. J'étais ce que l'on appelait un sang-mêlé. Un être issue de deux races. Certains y verraient la preuve ultime de la coexistence entre races différentes malheureusement les humains ne ce comptaient pas parmi eux et considéraient les sang-mêlés comme la pire engeance. Toutefois cela ne s'appliquait qu'aux sang-mêlé issue du croisement humain et hybride, ce qui était bien évidemment mon cas.
Ma mère ne m'aurait jamais gardé si elle n'avait pas fait montre d'un franc désintérêt pour la conformité. À la mort de son père, Baron d'Erachlion, ma mère hérita du titre de baronne alors qu'elle n'avait qu'une quinzaine d'années. À ce titre, elle aurait due se contenter de rester à vivre dans le manoir familial et agir comme une bonne fille de nobliau. Au contraire, elle rejoignit dès qu'elle le pu l'armée eldorienne où elle fut vite considérée comme un garçon manqué au vue de son tempérament. Je ne sais pas comment à partir de là ma mère rencontra mon père, mais elle me raconta qu'après quelques temps, elle quitta l'armée pour rentrer au manoir en portant son enfant.
Quelques mois plus tard, je voyais le jour dans la demeure familial et ma mère sut que ma vie ne serait jamais plus que dissimulation et faux-semblant. La nature aurait put se montrer plus généreuse et me conférer une apparence qui me fondrait parfaitement parmi les humains. Au lieu de cela, elle fit de moi un être indéniablement inhumain. Dans cette situation, certaines mères auraient-été désemparées ne sachant que faire pour leur enfant, mais pas la mienne. Le courage dont elle fit preuve pour m'élever en humain au nez et à la barbe du reste de la société était impressionnant et jamais sa détermination ne faiblit à mesure que mes traits bestiaux devenaient plus flagrants.
Pendant les premières années de ma vie, je vécus reclus dans le manoir familial, évitant la plupart du temps d'y croiser le moindre étranger. Les quelques domestiques hybrides qui vivaient sous notre toit, connaissaient mon secret et, par respect pour ma mère qui n'avait jamais été très porté sur l'esclavage, participaient à la petite mascarade. J'appris très tôt le mensonge que ma mère avait tissé de toute pièce. Mon père était un soldat dans le même bataillon que ma mère et ils s'aimèrent l'instant d'une nuit mais le destin les rattrapa lorsqu'il rencontra la mort dans un accident en mission.
Bien loin de la vérité, n'est-il pas? Enfin pour affirmer cela, encore faut-il la connaître. Ma mère ne me raconta jamais sa véritable rencontre avec mon père, ni ce qu'il faisait dans la vie. Tout ce que j'obtins comme informations à son sujet était sa nature d'hybride renard. Toutes autres questions se solda par un silence triste et une main qui caressais mes cheveux et toujours les mêmes mots...
Je n'ai pas le droit de te révéler ce que tu me demandes, mon chéri...*** ***
Amis d'enfance
Ne souris pas, Wylkaïn. Quelqu'un pourrait apercevoir tes crocs. Et replaces le cache-œil, il est de travers.Le visage sévère de ma mère me fixait mais sa voix douce et aimante me berçait comme à chaque fois qu'elle me parlait. Docilement, je m'exécutai. Du haut de mes six ans, j'allais pour la première fois sortir du manoir. L'excitation était certes palpable chez moi, mais je faisais aussi preuve de retenue conformément aux recommandations de ma mère. De ces mains pâles et délicate, elle recoiffa ma chevelure grise, l'un des quelques traits que j'avais hérité d'elle. Jugeant mon apparence suffisamment humaine, nous montâmes dans une calèche conduite par notre majordome, un hybride chat dénommé Luthan.
Où allons nous, Mère ?C'est l'anniversaire de la fille du Duc Talgard. Elle fête son quatrième anniversaire et à cette occasion, le duc et sa femme nous ont conviés à la célébration. La duchesse est une excellente amie à son insistance à fini par me faire accepter. J'avais déjà refusées les invitations aux précédents anniversaires de leur enfant et persister en ce sens aurait passé pour un affront.Je vois...Je fronçais les sourcils, soucieux. Un sentiment de culpabilité m'habitait, car j'étais quasiment sûr que si ma mère avait décliner jusqu'à présent les invitations, s'était un peu à cause de moi. Ma mère s'en rendit compte et m'adressa un sourire réconfortant.
Ne t'inquiètes pas.J'acquiesçai d'un hochement de tête et chassai de mon esprit ces mauvaises pensées. J'aurais déjà suffisamment à faire quand nous serons arrivé à la réception en évitant de faire le moindre faux-pas, broyer du noir ne m'aiderait pas. Les deux heures que durèrent notre petite promenade en calèche, me permirent d'oublier mes soucis tandis que j'admirais pour la première fois des paysages inédits. De temps à autres, je posais des questions sur ce que je voyais à ma mère et celle-ci me répondais
Nous finîmes part atteindre la résidence du duc, facilement repérable grâce aux nombreux flambeaux qui illuminait la route qui conduisait du portail de leur propriété à l'immense bâtisse. Leur demeure était bien plus grande et luxueuse que notre manoir. Cela correspondait assez à l'idée que je me faisait de la maison d'un noble ayant le titre de Duc.
Qui dois-je annoncer, Madame?Sélène d'Erachlion et son fils, Wylkaïn.Le serviteur qui attendait à l'entrée de la bâtisse nous guida jusqu'à la salle de bal et nous annonça. Quand son annonce fut terminé, un étrange silence vint remplir la salle. Toutes les têtes étaient braqués vers nous.
La présence d'autant d'étrangers me mettais mal à l'aise, mais une pression sur mon épaule de la main de ma mère me redonna du courage et je me mis à avancer sous le feu de leur regard rivé sur moi. La curiosité se lisait sur leurs visage avec une évidence flagrante. Tout le monde voulait voir à quoi ressemblait l'enfant-mystère de la Baronne d'Erachlion. Nous nous approchâmes d'une dame
J'en conclus qu'il devait s'agir de la duchesse Talgard. Sa réaction en nous voyant me surprit quelque peu cependant. Son visage s'éclaira d'un immense sourire et elle traversa rapidement le peu de distance qui nous séparait d'elle et se jeta dans les bras de ma mère.
Sélène! Ah, je suis si heureuse que tu ai accepté! Et voici donc ton petit bout d'homme!C'est exact. Je te présente mon fils, Wylkaïn d'Erachlion.Je n'eus pas le temps de comprendre ce qu'il se passait que déjà la duchesse me serrait chaleureusement dans ses bras et déposait un baiser sur ma joue. Le feu les envahit rapidement provoquant un éclat de rire de la part de la duchesse.
Enchanté de faire ta rencontre, Wylkaïn!Moi de même, Madame.Je ponctuai mes mots d'une petite courbette respectueuse à laquelle la duchesse me répondit par un gracieux hochement de tête.
Une table a été prévu pour les enfants. Tu peux la rejoindre et y faire connaissance avec d'autres enfant de ton âge, si tu veux. Ma fille s'y trouve aussi normalement.Je sentis la main ferme de ma mère agripper mon épaule en entendant les dires de la duchesse. Posant mon regard interrogateur sur elle, je cherchai à voir ce qu'elle pensait de cette proposition et si j'avais son approbation ou non. Nos regards restèrent un long moment rivés l'un sur l'autre puis, après une longue hésitation de sa part, elle finit par lâcher mon épaule...
Va... et sois sage, Wyl.Je ressentais son inquiétude dans ses mots. Je lui répondit d'un hochement de menton, montrant à ma mère que j'avais bien compris la mise en garde. D'un pas hésitant, je suivis la direction que la duchesse m'indiquait de la main et je finis par atteindre la table autour de laquelle se trouvait d'autres enfants de mon âge. La plupart se contentèrent de rapides présentations, mais l'un d'eux, qui me paraissait plus vieux que moi, se leva et me tendit sa main que je serrai.
Je suis Einrich Cherzan, fils du comte Cherzan. Enchanté de faire ta connaissance. Et tu te nommes?Wylkaïn d'Erachlion, fils de la Baronne d'Erachlion.Wylkaïn? C'est un nom peut courant. Me permets-tu de t'appeler Wyl?Je lui répondis par un simple hochement de tête. Une des jeunes filles autour de la table me pointa alors du doigt.
C'est quoi le problème avec ton œil?Ma main se posai vivement sur mon cache-œil tandis que je paniquais un instant à l'idée que le jeune fille ai percé mon secret. Toutefois, le rire jovial d'Einrich vient couper court à cette situation gênante.
Allons Sashka! Quand apprendras-tu à te retenir de poser des questions embarrassantes?! Et toi Wyl ne te montes pas le bourrichon comme ça! Tu es en droit de ne pas lui répondre.Je remerciai timidement Einrich qui se contenta pour sa part de m'indiquer le siège libre à sa droite. Ma timidité m'empêchait d'avancer mais je finis par faire le premier pas et pris place à cette table tout en me faisant le plus discret possible pour me faire oublier. Voyant que je n'osais pas me mêler à leurs conversations, Einrich finit par discuter avec moi pour me mettre à l'aise.
Quel âge as-tu, Wyl?6ans...Ah? Et bien je suis ton aîné de 2 ans alors!Ça je n'en doutais pas au vue de sa taille. Il faisait facilement deux têtes de plus que moi et, contrairement à moi qui devait avoir l'air bien pathétique à être tant craintif, il dégageait une assurance impressionnante. Cela contribua grandement à me rassurer et après plusieurs questions, je finis par discuter normalement avec lui. Nous fûmes cependant stoppé dans nos discussions par l'arrivée de la duchesse qui semblait un peu contrariée.
Lorely n'est pas avec vous?Hum... Non, elle est partie un peu avant que Wylkaïn n'arrive et nous ne l'avons pas revue depuis.Je vois. Mais où diable a-t-elle bien pu aller?La duchesse repartit, sourcils froncés. Einrich resta un instant songeur. Je le questionnai sur ce qui le tourmentait et sa réponse fut assez simple. Lorely Talgard s'était de nouveau éclipsée en douce. Apparemment, c'était une vilaine habitude qu'elle avait de partir vadrouiller seule quand il y avait trop de monde. Une nature assez solitaire, donc. Un peu comme moi... Je prétextai l'envie d'aller aux toilettes et quittai la table.
En longeant la salle de réception, je vis une porte-fenêtre ouverte et qui donnait sur le domaine et m'arrêtai pour la regarder. Quelque chose m'attirai en observant cette porte, comme un instinct qui me soufflait que ce que je cherchais était passé par là. Je trouvais ce sentiment étrange, mais je ne pus que l'écouter. Aussi sans que personne ne le remarque, je m'éclipsai par la porte-fenêtre. La nuit était bien avancée.
Repoussant le cache-œil vers le haut, je libérai mon œil doré. Pour retrouver la jeune fille dans le noir, deux yeux valaient mieux qu'un et les miens me permettaient de voir dans le noir, atout indéniable dans cette situation. Je progressais rapidement dans le parc qui entourait la maison du duc, un peu intimidé par le visage sinistre que la nuit donnait aux choses.
Le sentier montait doucement en pente vers une petite bâtisse que en marbre ma mère m'avait d'écrit comme étant un belvédère. L'idée que la jeune Lorely ait pu ressentir l'envie d'admirer la vue nocturne des environs depuis ce lieu traversa mon esprit et poussa mes pas dans cette direction. Mon instinct ne me fit pas défaut car j'entrevis rapidement une petite silhouette assise sur l'un des bancs en pierre.
La jeune fille dut sentir ma présence car elle tourna son regard dans ma direction. Je la vis qui scrutait les ombres un moment avant d'écarquiller les yeux. Je reculai d'un pas et replaçait le bandeau sur mon œil quand je m'en aperçu, inquiet qu'elle est pu percevoir l'éclat doré de mon iris. Sachant que je ne pouvais pas m'approcher d'elle par surprise, je préférai l'appeler par son prénom avant de venir à ses côtés.
Lorely? Lorely Talgard?Qui est-là?Nous n'avons pas été présenté. Je suis le fils de la baronne d'Erachlion, Wylkaïn d'Erachlion. Vos parents sont inquiets et vous cherche dans toute la maison. Il vaudrait mieux retourner à l'intérieur avant qu'ils ne cèdent à la panique.Tout en parlant je m'étais approché d'elle, restant à une distance suffisante pour ne pas l'effrayer. Dès qu'elle me vit sortir des ombres, elle commençait à me détailler. Bien que je sentis son regard s'arrêter un long moment sur le bandeau qui dissimulait mon œil gauche, elle ne fit aucun commentaire. De mon côté, je ne pus aussi refréner l'envie de voir à quoi elle ressemblait. Pour quelqu'un de quatre ans, Lorely était plutôt une grande fille car elle arrivait presque à ma taille. Ou alors c'était moi qui était trop petit, je commençais à avoir des doutes...
Elle portait ce qui me semblait être une petite robe blanche qui la mettais en valeur mais c'est surtout son visage me captivait. Encadré par de longs cheveux roux et ondulés, son visage d'une pâleur irréelle en ressortait sublimé. Ses traits encore enfantins n'étaient pas dénué d'une certaine beauté que je n'avais jamais vue chez d'autres personnes et qui laissait entrevoir la femme qu'elle allait devenir. Après seulement quelques secondes à l'observer, je comprenais mieux pourquoi Einrich parlait d'elle avec une telle passion, tant il était difficile de ne pas tomber sous son étrange charme.
Nos regards finirent par se rencontrer. L'espace d'un instant, le temps sembla se figer entre nous, comme suspendu entre nos regards. La magie du moment fut cependant brisé quand je détournai les yeux. Sortant de sa propre rêverie, Lorely tendit une main blanche comme de la porcelaine vers moi. Je la saisis délicatement et sans nous presser, nous retournâmes dans la demeure du duc.
*** ***
Les masques tombent
à suivre