Le nom donné à ce lieu n'est probablement pas celui qui le décrirait le mieux. Ce n'est pas un fort inexpugnable fait de lourdes pierres grises et tristes. De loin (et peu nombreux sont ceux qui l'ont vue de près, à l'exception des Dragnis eux-même) elle s'élève telle une Tour d'une blancheur éclatante, défiant le ciel de sa coupole glacée, au sommet d'une haute montagne. Un seul et unique chemin y mène, escarpé et pratiquement impraticable, profondément enfoui sous la neige, et parsemé de pierres traîtresses. Un escalier extérieur semble être le seul moyen d'accéder au dernier étage, une large plateforme d'atterrissage percée de larges entrées adaptées à la carrure d'un Dragon-Roi.

Il semble difficile de dater la construction de la Citadelle, car l'architecture en est plutôt unique, et les pierres blanches qui la composent semblent défier les intempéries et les siècles. Mais qu'elle tienne par magie, ou par l'artisanat de ses habitants, elle est et restera certainement pour très longtemps encore un doigt tendu vers les nues. Une fois passée la lourde porte noire qui protège la pièce contre la bise glacée fréquente à cette altitude, le Dragnis enfin de retour chez lui se retrouve dans une large pièce chauffée meublée d'une grande table ronde autour de laquelle une trentaine de personnes peuvent s'asseoir sur les petits tabourets de bois rangés dessous.

Une cuisine ouverte est visible, de même qu'un endroit, devant l'âtre, où des coussins sont installés et où se déroulent la plupart du temps les leçons des jeunes Dragnis. Un large escalier de pierre blanche mène à l'étage, où se trouvent les appartements. Certains sont individuels et décorés au goût de leur occupant, d'autres, notamment les quartiers des jeunes, sont collectifs. Les salles d'eau sont accessibles par un escalier descendant derrière les cuisines. Une source d'eau chaude, naturelle ou non (personne n'a jamais daigné demander ce qu'il en était) les alimente. A l'étage inférieur, dans la chaleur moite des sources, une cavité a été aménagée. S'y retrouvent les femmes sur le point d'accoucher, lorsque le moment est venu.

En face de l'entrée principale, une dernière porte, du blanc glacé de neiges perpétuelles, reste le plus souvent fermée. Derrière, une pièce que seuls les plus anciens fréquentent, et où ils discutent des Âges à venir qu'ils ont aperçus dans leurs visions. C'est aussi l'endroit d'où ils observent le monde, et où ils s'échappent parfois lorsque la communauté plus jeune les étouffe. La pièce est confortable, bien qu'austère, mais rien dans la Citadelle n'est véritablement tout à fait aussi agréable à vivre qu'un château noble, même si souvent bien plus pratique.

L'endroit est largement suffisant pour les trente Dragnis qui composent la communauté, et les Âmes-Sœurs possèdent leurs propres quartiers, à flanc de montagne. Ils peuvent y dormir en toute tranquillité et y amener leurs proies sans salir la Citadelle. Leur ballet incessant est visible depuis les nombreuses fenêtres à ogive qui percent la tour. A l'extérieur, invisible depuis le chemin, un bâtiment où est rangé le bois de chauffage, et un garde-manger réfrigéré naturellement, et au sec.

La Citadelle est perdue dans les montagnes, ce qui rend, bien évidemment, l'approvisionnement extrêmement complexe. Les Dragnis n'ont, effectivement, aucun moyen d'entretenir un potager ou un verger, et ils ne sont guère enclins à la chasse. Depuis beaucoup plus longtemps que les Humains ne peuvent s'en souvenir, des accords ont été passés avec quelques villages en aval. Les habitants savent à qui ils versent leurs tributs, mais ils ne rencontrent jamais la population qui habite la Tour Blanche en haut de la montagne. Ils délivrent leurs provisions (nourriture, laine, tissus, bois de chauffage, outils, chaussures...) sur une large plate-forme naturelle sur le chemin menant à la Citadelle. Les habitants n'ont ensuite plus qu'à les remonter en une longue et précautionneuse procession.

La vie de la Citadelle est communautaire. Chacun et chacune, quel que soit son âge ou ses priorités, participe au fonctionnement de la tour. Tous ont déjà eu l'occasion d'accomplir chaque tâche, qu'il s'agisse du cardage, du tricot, de la cuisine, de l'approvisionnement en bois, du nettoyage et autres. De la même façon, l'enseignement des plus jeunes est assuré à tour de rôle.

Outre les tâches ménagères quotidiennes, les Dragnis passent souvent de longs moments avec leur Âme-Sœur, au dernier étage de la tour. Quelques-uns acceptent de laisser les jeunes approcher et s'occuper de leur Dragon. Parfois, des journées complètes sont consacrées à la plongée dans l'avenir et au décryptage des visions des moins anciens, souvent obscures. Les données sont recoupées pour confirmer les augures des uns ou des autres. Régulièrement, des conclaves sont organisés pour que chacun possède le même niveau d'information (notamment lorsqu'ils reçoivent des informations en provenance des jeunes en quête ou leurs ambassadeurs), et très rarement, pour savoir si une intervention dans le monde d'en-bas est nécessaire.

De façon globale, en-dehors de leurs dons et de leurs liens avec les Dragons, les Dragnis vivent une vie communautaire des plus simples et frugales. Ils sont en moyenne vingt-cinq séjournant à la Citadelle.

Plusieurs théories courent au sein même des Dragnis pour savoir si la conscience ou l'âme des êtres décédés disparaît, ou si elle intègre à nouveau le corps des jeunes en train de naître. Ils ne sont certains que d'une seule chose : ils ressentent la mort d'un des leurs et, peu de temps après, une femme se retrouvera enceinte. La gestation est relativement courte, environ cinq mois, mais lors de l'accouchement, le fœtus n'est pas encore arrivé à maturité. Le placenta est semi-solide et opaque, et nécessite une atmosphère chaude et surtout humide. Nul ne sait exactement de quelle façon il se nourrissent durant cette période, mais plus probablement de l'énergie magique ambiante et des ondes télépathiques et empathiques des Dragons. Au bout de cinq à sept mois, ils émergent de leur coquille sous forme de nourrissons.

Dès que les jeunes Dragnis sont en âge de marcher et de réfléchir, leurs camarades adultes (uniquement ceux ayant déjà terminé leur croissance et acquis une Âme-Sœur) prennent leur tour pour leur enseigner les Grandes Lois. Il s'agit des premières leçons qui leur sont inculquées et, lorsque celles-ci ont été retenues, leur enseignement devient plus... "classique". Cosmogonie, légendes, religions du monde d'en-bas, histoire, géographie, lecture, écriture, les nombres, également. La politique est parfois évoquée. De même, la dragonologie est enseignée. Ils ne se basent que sur de très rares écrits qu'ils conservent dans la pièce d'observation, mais plus souvent, le tout se fait par transmission orale.